Ce matin, en plein mois de novembre dédié à l’histoire et au patrimoine des peuples autochtones (“Native American Heritage Month”), et alors que je lisais un article sur l’équipe de football américain des Washington Commanders, anciennement Washington Redskins (“Peaux-rouges de Washington ») renommée en février 2022 face à la polémique, je me suis finalement posé la question suivante : quels termes sont appropriés pour désigner les communautés autochtones des États-Unis et du Canada, et quels mots utiliser en français pour faire honneur le plus fidèlement possible à leurs histoires et identités multiples ? Le choix des mots est d’autant plus important que nous, membres de la communauté éducative et familles, avons à cœur d’apprendre à nos enfants à s’ouvrir aux cultures d’autrui et à les respecter.

Ce sont des questions que nous abordons régulièrement à EFBA. Les animateurs et animatrices de nos centres aérés sont sensibilisé(e)s à la question de l’appropriation culturelle (découvrez l’article que nous avions écrit à ce sujet), et nous proposons chaque année des activités (notamment dans le cadre de notre programme Enfant de la troisième culture) qui célèbrent la diversité culturelle.

Avant que vous ne commenciez la lecture, sachez que par mesure de simplification nous survolerons de nombreuses thématiques qui mériteraient d’être traitées plus longuement, comme la colonisation ou les histoires riches et complexes des différentes nations autochtones d’Amérique du Nord. Des liens hypertextes ont été ajoutés au texte, si vous souhaitez approfondir certains points. Notez également que le contenu de cet article est principalement destiné aux lecteurs et lectrices francophones qui vivent dans la région et sont curieux d’en savoir plus sur la terminologie qu’il convient d’adopter.

Dans cet article, nous questionnerons différents termes utilisés en français pour désigner les communautés autochtones d’Amérique du Nord et verrons en quoi ils nous semblent – ou non – appropriés. Au risque de vous décevoir, je préfère vous prévenir : il n’existe pas de réponse simple à cette question, d’autant plus que le choix final devrait logiquement revenir aux principaux intéressés 

“Peaux-rouges” : un terme déshumanisant ?

Si l’équipe des Washington Redskins avait opté pour ce nom, c’est bien parce que les peaux-rouges sont associés, dans l’imaginaire collectif occidental, à une forme de bravoure guerrière, à la fois virile et animale, et aux représentations stéréotypées transmises, entre autres, par le cinéma et la littérature. Tintin en Amérique, écrit par Hergé et publié pour la première fois en 1932, ne déroge pas à la règle en les présentant comme un peuple uniforme et violent, colportant ainsi des préjugés raciaux qui depuis longtemps participent à la stigmatisation de la communauté. Pourtant, cet imaginaire collectif en arriverait presque à faire oublier le génocide qui a eu lieu à l’arrivée des Blancs sur le continent américain. Une étude menée en 2020 sur plus de 1000 personnes autochtones par l’université du Michigan et la UC Berkeley a montré que près de la moitié des participants se sentaient offensés par le nom Washington Redskins et perçoivent l’expression “peau-rouge” comme une insulte. Aujourd’hui, la réappropriation de certaines personnes ou organisations autochtones de ce terme constitue un parfait exemple de retournement du stigmate, stratégie qui consiste à reprendre à notre compte des mots faits pour nous disqualifier et à en changer la valeur sémantique. De mots offensants et stigmatisants, ils en deviennent des symboles de fierté, comme l’a fait le Français Aimé Césaire (1913-2008) lorsqu’il crée le courant littéraire et politique de la “négritude” durant l’entre-deux-guerres, reprennant ainsi le terme raciste et particulièrement offensant de “nègre” pour le retourner et en faire le moteur du refus d’une honte héritée du colonialisme. 

L’origine du recours à la couleur rouge pour désigner les peuples autochtones est incertaine. Des documents de la période coloniale indiquent qu’ils se qualifiaient parfois eux-mêmes ainsi, avant que cette utilisation soit adoptée plus tard par les Européens et devienne une étiquette générique, voire un profil racial de tous les Autochtones, les différenciant ainsi des “Blancs” et des “Noirs”.

Les mots “Indiens” et “Amérindiens” sont le fruit d’une erreur

Le français a longtemps utilisé les termes “Indiens” et “Amérindiens”, et voilà pourquoi : à son arrivée à San Salvador, île des Caraïbes, Christophe Colomb était persuadé d’avoir débarqué dans les Indes orientales. Ces mots sont de nos jours de plus en plus décriés car ils prennent justement leur source dans l’erreur d’un homme dont l’arrivée en Amérique a préfiguré l’oppression des premiers habitants des lieux.

Par ailleurs, certains groupes ne sont pas définis comme Indiens. Pour rappel, le Canada reconnaît trois grands groupes autochtones sur son territoire :  les Premières nations, les Métis et les Inuits. La Loi sur les Indiens du Canada est la principale loi qui permet au gouvernement fédéral d’administrer le statut d’Indien, les gouvernements locaux des Premières Nations et la gestion des terres de réserve. Or, cette loi ne concerne que les personnes détenant le statut d’Indien, ce qui n’est pas le cas des Métis et des Inuits. Néanmoins, bien que certaines communautés aient encore aujourd’hui le nom officiel de “bandes indiennes” au Canada, et que certains Autochtones utilisent parfois le mot “Indien” entre eux, le terme a généralement une connotation colonialiste pour de nombreuses personnes et ne reste utilisé qu’au niveau juridique.

Pourquoi le terme “aborigène” est à éviter

Le terme “aborigène” est à éviter en français, car il renvoie dans le langage courant aux premières nations d’Australie, et non d’Amérique du nord. En anglais, l’utilisation du terme générique aboriginal s’observe plus fréquemment pour désigner l’ensemble des communautés autochtones, bien que certaines d’entre elles ne souhaitent pas être définies ainsi, selon le Guide des terminologies en contexte autochtone. Le terme indigenous lui est préféré.

Autochtone ou indigène : petit détour terminologique

Enfin, penchons-nous sur l’utilisation du terme “autochtone”. Il est largement utilisé en français et constitue la traduction la plus courante de l’anglais indigenous (utilisé surtout au Canada) et de l’espagnol indigenas. Aux Etats-Unis, on lui préfère l’expression Native Americans. Au Canada, le terme “Autochtones” est désormais largement utilisé pour désigner les trois groupes distincts reconnus : les Premières nations, les Métis et les Inuits.

Indigène [du latin –indu (« dans ») et de -gena (« né de »)], qui est né là. Autochtone [du grec αὐτός, autós (« soi-même ») et de χθών, khthốn (« terre »)], qui est de la terre elle-même. 

Si l’on s’en tient à leur origine étymologique, on retiendra qu’une personne indigène est simplement née dans le pays, tandis qu’un personne autochtone a un rapport beaucoup plus profond et ancien à la terre, sur laquelle elle n’est pas arrivée en immigrant.

La problématique, c’est que chaque continent du monde a ses groupes autochtones. Il faudra ainsi être plus précis en disant par exemple “Autochtones du Canada” (ce qui renvoie ainsi aux Premières nations, aux Métis et aux Inuits, mais reste flou pour les groupes dont les terres se trouvent à la fois au Canada et aux Etats-Unis). Reste qu’“autochtone” est un mot-valise qui demeure simplificateur et non inclusif.  Si l’on devait conclure cet article, voilà ce qu’il faudrait retenir : chaque groupe autochtone a sa propre histoire, sa culture, sa langue, son système politique, ses croyances religieuses et son héritage. Désigner ces différentes communautés sous une appellation générale, ce serait nier la richesse de leur histoire. 

Si vous êtes arrivé(e) jusqu’au bout de cet article, c’est que le sujet vous intéresse et que vous avez à cœur d’utiliser les termes appropriés ; c’est un bon début. Pour aller plus loin, continuez à vous renseigner sur ces questions, car ce qui était valable hier ne l’est pas forcément aujourd’hui et ne le sera peut-être plus demain. Utilisez la dénomination précise du groupe auquel vous faites référence et, en cas de doute, demandez à la personne ou à l’organisation  à laquelle vous vous adressez comment elle veut être identifiée !

Voici quelques idées pour célébrer l’héritage des communautés autochtones d’Amérique du nord :

  • Découvrez grâce à la carte intéractive https://native-land.ca/ sur la terre de quel groupe autochtone vous vous trouvez. Renseignez-vous ensuite sur cette communauté, son histoire et sa culture.
  • Suivez (en anglais) la formation en ligne “Indigenous Canada” (“Canada autochtone”) proposée gratuitement par l’université d’Alberta. En douze modules, elle explore d’un point de vue historique et critique les expériences complexes auxquelles les peuples autochtones sont confrontés aujourd’hui, tout en mettant en lumière les relations entre les autochtones et les colons.
  • Offrez à vos proches un cadeau acheté auprès d’une entreprise gérée par des personnes autochtones. Vous trouverez de nombreuses listes en cherchant sur Internet.

Article écrit en français par Julia Peillon

Comment contribuer : 

Si vous connaissez d’autres ressources pertinentes pour adopter une terminologie appropriée et enrichir cet article, ou avez d’autres idées pour célébrer l’histoire et le patrimoine des groupes autochtones d’Amérique du nord, n’hésitez pas à nous écrire à info@efba.us et nous les ajouterons à cet article.

Pour faire un don à EFBA et contribuer à sa mission, c’est par ici.

 Save as PDF