Par Gabrielle Durana, présidente d’EFBA

Mâtinée d’excitation et de magie pour les enfants, empreinte de perfectionnisme chez les adultes, la période des fêtes de fin d’année est propice à la nostalgie et aux regrets aussi. Les décorations, les traditions, les repas, les cadeaux, tout participe à ce long rêve collectif éveillé du mois de décembre, qui déborde sur janvier. 

Quand on ne vit pas dans son pays d’origine, la période des fêtes redouble d’importance : pour les plus chanceux, elle est synonyme de voyage et de vacances « au pays ». Cousinades et maison familiale, pardonnez le désordre ; les enfants fabriquent des souvenirs. Pour les autres, la pression de la famille est proportionnelle à la distance et « quand on-ne-peut-pas-rentrer-(plus-d)-une fois-par-an« , la question de la célébration des fêtes monte encore en intensité comme enjeu symbolique et identitaire. 

b. pâtisserie – San Francisco (2016)

Il y aurait beaucoup à dire sur les aspects mercantiles des fêtes de fin d’année, et comment on remplace l’absence des êtres par des tonnes d’avoir (surabondance de nourriture, de décorations, de cadeaux). Ces aspects de faste ostentatoire sont assez connus et finalement ne changent pas de nature mais peut-être seulement de degré quand on vit à l’étranger. Par exemple, on ne payerait jamais une bûche de Noël 75 euros (voir photo) pour trois personnes à Paris mais peut-être qu’on craquerait à San Francisco. On peut aussi apprendre à la faire soi-même. (cf : recette ci-dessous). De même, un calendrier de l’Avent (voir photo) qui n’aurait présenté aucun intérêt parce qu’on n’est pas religieux, soudain vous transporte à Saint-Germain, où vous faisiez vos études, à une époque où vous comptiez chaque dépense afin d’être sûre d’avoir assez pour les livres. Alors dans un esprit de revanche sociale et avec une once de pensée aladine, vous commandez votre « madeleine de Noël ». Elle arrivera par FedEx ! 

Un calendrier de l’Avent

Dans cet article, je voudrais me concentrer sur deux aspects moins souvent abordés : d’abord le décalage entre la manière dont la société majoritaire fête -ou ne fête pas- la fin de l’année selon « nos » traditions, ce que cela peut engendrer comme malaise au sein des individus et des familles, et comment y remédier. D’autre part comment utiliser ce décalage quasiment inévitable pour initier les enfants par delà « nos traditions » ethno-centrées au caractère universel des rites de passage et leur inculquer une appréciation de la diversité culturelle. 

Beaucoup d’exemples ici sont liés à ma propre subjectivité : de culture judéo-chrétienne, j’ai grandi en France, à Evry en Essonne, dans une famille athée, italo-argentine. Étudiante, j’ai habité à Paris, en Irlande, au Maroc, en Espagne. A l’âge adulte, je vis à San Francisco avec un musulman non praticant d’origine bengalie. Les exemples choisis n’ont d’autre valeur qu’illustrative des mécanismes à l’œuvre. 

Quand la culture dominante du pays contredit vos traditions ou les invisibilise

J’ai quatre ans et j’habite à Buenos Aires. Je vais rendre visite à ma grand-mère dans son immeuble. Comme dans la chanson d’Anne Sylvestre, l’ascenseur est en panne et pour monter jusqu’à chez elle, il faut prendre un escalier qui fait mal aux pieds. Le lendemain, j’y retourne et là miracle, l’ascenseur fonctionne ! « Les Rois Mages sont venus le réparer pendant la nuit », m’explique ma grand-mère. A partir de ce jour-là, je n’espérais qu’une chose : que l’ascenseur retombe en panne pour que je puisse guetter les Rois Mages ! 

Quand je suis arrivée en France, à l’âge de six ans, les Rois Mages étaient des inconnus auprès du reste des enfants. La maîtresse pour nous inciter à rester calmes nous disait que le Père Noël n’apporterait de cadeaux qu’aux enfants sages. Mes parents recommençaient leur vie à zéro et n’avaient pas d’argent. Un soir, ils m’ont appelée dans leur chambre pour me révéler le grand secret des adultes. La peine de ne pas recevoir de présent fut passagère. En fait, j’avais déjà dû faire un deuil beaucoup plus douloureux : malgré mes souvenirs enchanteurs, le Père Noël était le seul personnage mythologique « persona grata » pendant les fêtes en France. 

Mes parents ont bien essayé de garder la tradition des Rois Mages mais le décalage entre fêter Noël fin décembre et fêter les Rois à l’épiphanie rendait l’attente encore plus insupportable. Et puis les Rois Mages étaient des imposteurs. Morts dans mon imaginaire d’enfant, ils n’ont plus eu droit de citer dans notre maison. Je voulais un sapin de Noël et heureusement mes parents ont vite cédé sans faire de résistance cultuelle ou culturelle. En France, Noël était une fête officiellement séculière alors ils pouvaient faire un accommodement raisonnable avec leur athéisme. 

Je n’ai pas repensé à l’affaire du sapin de Noël jusqu’à ce qu’un jour à San Francisco, un collectionneur de la galerie d’art pour laquelle je travaillais, avant de fonder EFBA, me raconte comment pendant toute son enfance, ses parents de tradition juive avaient refusé à sa soeur et à lui le sapin sacrilège. Résultat : à l’âge adulte et bien qu’ayant épousé une Juive, il avait importé la présence du sapin de Noël en plus du chandelier de Hanouka dans les traditions familiales.  Officiellement c’était pour faire plaisir à sa progéniture. Mais n’était-ce pas plutôt pour réparer son déni d’enfant ?

Couronnes de Hanukkah et de Noël accrochées à la porte de la maison, telles qu’on peut les voir chez Alex Nichol, responsable de la communication d’EFBA.

Si mes parents ont changé le calendrier des fêtes familiales pour s’adapter à la culture majoritaire française, ils ont eu beaucoup plus de mal à céder sur la nourriture. Les fêtes s’accompagnent de mets et de pâtisseries traditionnelles. Je me souviens de l’excitation de ma mère le jour où elle avait trouvé du panettone, non pas chez Fauchon mais au supermarché du quartier des Epinettes. Elle m’en a coupé une grosse tranche. J’ai goûté et j’ai tout de suite détesté les fruits confits. Pourtant je voulais lui faire plaisir. Pendant des années mes parents ont continué de fêter Noël et la fin de l’année avec du panettone parce que c’était important pour eux et à compléter avec des bûches de Picard Surgelés parce que c’était ce que nous les enfants aimions pour de vrai. Je suis certaine que ma mère percevait mon indifférence pour sa tradition culinaire et qu’elle la peinait. Aujourd’hui, j’aime le panettone parce qu’il a un goût de maman. 

Ce patchwork entre les traditions familiales et celles propres au pays d’accueil crée un syncrétisme culturel. Le terme de syncrétisme vient de la sociologie des religions mais nous, nous l’utilisons pour décrire le résultat d’une hybridation, d’un « bris-collage » (Bernand, 2001) amenant à la formation d’une « troisième culture » de fêtes et traditions. 

Cette synthèse résulte de la confrontation et l’influence de croyances, valeurs et traditions issues de systèmes culturels opposés. Elle est le résultat d’un compromis dans le rapport de forces entre le pouvoir des adultes dans la cellule familiale et l’influence de la société environnante, notamment l’école, les médias et le groupe d’amis. 

Ce syncrétisme est tantôt stigmatisé comme contamination par l’autre, tantôt valorisé comme synthèse créative (Mary, 2010). Nourri de pragmatisme (la vie familiale a besoin de routines et de rituels), il aboutit à un aggiornamento, littéralement une mise à jour forcée mais bienvenue des cultes et traditions pratiqués dans la famille. Cet espèce de Concile Vatican II des fêtes et traditions permet de rétablir l’harmonie familiale. 

Du syncrétisme à l’appréciation de la culture des autres 

Il arrive un moment dans la vie d’une personne quand on se rend compte que le « rêve éveillé » des fêtes, n’est pas « un rêve collectif »… Enfin, qu’il n’englobe pas tout le monde, que certains ne fêtent pas ce que « tout-le-monde-fête » et surtout que des gens qui vivent parmi nous ont d’autres fêtes. Pour moi, c’est arrivé à Evry quand nous étions enfants. Un jour mon frère est revenu d’une course, goguenard. En France, les magasins sont fermés le dimanche après-midi. Mon père l’avait envoyé acheter du coca « chez l’Arabe du coin », ou comme on dit au Québec « chez le dépanneur ». Mon frère est revenu en riant : il avait trouvé portes closes avec un message sur la devanture : « Fermé pour cause de fête de l’Eid » Je me souviens de notre stupéfaction : comment quelqu’un dont la qualité principale était d’être toujours ouvert ce qui justifiait des prix plus élevés, comment pouvait-il être fermé ? Le caractère insolite de la situation devait indiquer que la fête en question, de nous totalement inconnue, était sacrément importante… pour eux ! Au point de fermer leur magasin ? Mon frère et moi restions incrédules. 

Que nos parents n’aient pas pris le temps de nous expliquer en quoi consistait la fête en question est une occasion perdue en termes de culture générale. Cela s’explique en partie par leur profond anti-cléricalisme. Le sapin de Noël, oui, la messe de minuit, il n’en aurait jamais été question. Vive la laïcité ! Heureusement nous habitions en banlieue parisienne, où la Saint Nicolas n’était pas une tradition en place publique. 

En fait, ce que nous avons ressenti ce jour-là, c’est surtout que la fête inconnue de nous n’était pas une fausse fête (sic) mais une véritable célébration, pour laquelle le propriétaire était prêt à faire des sacrifices, y compris financiers. 

Alors comment dépasser l’ignorance des adultes qui ne sont pas théologiens de toutes les religions du monde ? Comment utiliser le décalage inévitable pour initier les enfants par delà « nos traditions », ethno-centrées, au caractère universel des rites de passage et leur inculquer une appréciation de la diversité culturelle ? 

D’abord en changeant notre regard d’adulte et en faisant preuve de curiosité. Que l’on soit éducateur ou parent, imaginez la différence que cela aurait sur les enfants si au lieu de dire « Décompte de Noël, découvrez 25 manières différentes de fêter Noël dans le monde », on construisait le moment éducatif autour d’un voyage dans « Vingt-cinq traditions de la fin de l’année sur la planète » ? Ce serait un véritable changement de logiciel !

Cette appréciation de la diversité des traditions qui toutes culminent dans un rituel de fin d’année ne nous menace pas dans notre identité. Comme on peut parler plusieurs langues et être intégré, on peut s’intéresser aux traditions des autres, tout en gardant son syncrétisme familial. 

Sans forcément adopter des traditions qui ne nous touchent pas. Mais en ayant de la bienveillance, pas juste de la tolérance pour une tradition différente. Au fond, que se passerait-il si on apprenait aux enfants que l’Aït el Kebir est le Noël « mobile » (à cause du calendrier lunaire) des musulmans ? Ce ne serait pas exact d’un point de vue religieux mais cela arrêterait d’envoyer le signal que leur fête n’en est pas une et qu’ils sont priés de l’annuler pour faire société avec nous ?

En Californie, nous entendons parler de Hanouka, de Kwanzaa, de Noël bien sûr mais aussi du Solstice d’hiver. Les enfants ne connaissent peut-être pas toutes ces traditions mais comme elles ont toutes le droit de citer, dans le pluralisme, dans l’espace public (voir photo de la place principale de Union Square à San Francisco où le chandelier de Hanouka trône aux côtés du Sapin de Noël). On commence par les nommer et au fil du temps, on les découvre. Après on rentre préparer sa bûche et sa maison de pain d’épices. 

Recette bûche de Noël maison

4 jaunes d’oeufs
75g sucre
50g farine
50 g de fécule
4 blancs d’ oeufs + 25 g de sucre

1. fouetter 4 jaunes en ajoutant le sucre en pluie > épaississement
2. incorporer rapidement les blancs+25g de sucre montés en neige, puis
la farine, puis la fécule.
3. Etaler sur une feuille de papier sulfurisé et cuire 8 à 10 minutes à 200C

A la sortie du four, déposer le biscuit (avec la feuille de cuisson) sur une surface froide.
Recouvrir de nutella puis d’un peu de confiture de mûres.
Rouler
Recouvrir de Chantilly faite maison

Laisser reposer au frigo et servir au prochain repas.

Bon appétit !

 Save as PDF