Avec la mondialisation, la diversité culturelle est de plus en plus menacée et certaines langues disparaissent complètement. Or lorsque celles-ci disparaissent leurs concepts, traditions, cultures, modes de pensée et philosophies s’éteignent aussi. 

Pour préserver la richesse de l’humanité et vivre dans un monde de respect, il est important d’œuvrer pour préserver l’existence de la diversité linguistique. Et, ce notamment par le maintien de la langue maternelle, qui constitue la base de nos premières interactions dans la société et de nos compétences. Et oui, pour les plus chanceux d’entre nous, c’est par notre première langue que nous apprenons à lire, compter, écrire ! Toutefois il demeure que certains n’ont pas accès à un enseignement dans une langue qu’ils parlent ou qu’ils comprennent.

Afin de promouvoir la diversité linguistique et culturelle et rappeler l’importance du multilinguisme dans nos sociétés, la Journée internationale de la langue maternelle a lieu chaque année depuis février 2000. 

C’est l’occasion pour EFBA de célébrer sa mission d’offrir une éducation bilingue francophone et multiculturelle, qui ouvre l’esprit des enfants sur le monde, et pour sa fondatrice de s’exprimer sur ce sujet qui l’anime tant ! 

 

Quelle est ta langue maternelle? 

C’est un peu compliqué. Je suis née en Argentine dans une famille bi-culturelle, d’un père argentin et d’une mère italienne. On parlait espagnol à la maison. Ma mère est d’origine vénitienne et sa famille parlait le dialecte vénitien. Elle en formait à la fois une fierté, la culture vénitienne est éblouissante… et une gêne: ne pas parler l’italien standard, le florentin est une anomalie pour quelqu’un d’instruit ; ma mère est très cultivée. Elle a vraiment appris le florentin à l’âge adulte. Moi, dans tout cela, j’ai hérité de l’espagnol depuis le premier jour et d’un regret de ne pas parler correctement ni le vénitien, qui ne m’a pas été transmis par manque de croyance dans la valeur de cette langue, ni le florentin par manque d’opportunité d’y être exposée régulièrement. Ma mère disait toujours qu’un dialecte est une langue sans littérature mais pour moi, c’est surtout une langue sans armée, sans pouvoir politique. 

Pourquoi penses-tu qu’il est important de conserver et valoriser l’apprentissage des langues maternelles? 

C’est d’abord une affaire de droit à l’existence, au respect et à la reconnaissance. Pour paraphraser Napoléon, tout État fait la politique de sa géographie. Si je suis dépositaire de l’autorité sur un territoire et si je définis votre langue comme un patois, je suis en train de vous inculquer que la pensée élaborée dans cette sous-langue n’est pas pensable, pas digne d’être partagée, pas intéressante. Si je définis une langue comme seulement digne de ce nom parce qu’elle a une littérature écrite, je fais fi de toute la tradition orale, multiséculaire de myriades de cultures. Si j’affirme que votre langue n’a aucun intérêt parce que personne ne la comprend, je nie votre identité. La langue maternelle, c’est bien sûr la langue dans laquelle nos mères nous ont chanté des berceuses et nous ont communiqué leur amour. Mais au delà de la langue primale, en tant que locutrice d’une langue à fort prestige, le français, je suis solidaire du droit des autres gens de parler leur langue minoritaire, de la conserver, de la transmettre, et de lui donner lieu de cité dans la sphère publique, pas seulement familiale. Pour le français, c’est plus facile. Notre langue est aimée et admirée en Californie et dans le monde. Toutes les langues méritent cette même considération : du moment qu’un groupe humain parle et aime une langue, cette langue devrait être protégée et enseignée. 

Et en quoi penses-tu que c’est encore plus important du point de vue de l’enfant?

La langue maternelle constitue le socle du langage, plus elle est solide, plus facile sera ensuite l’apprentissage d’autres langues. 

Quels sont les avantages d’être bilingue ou multilingue?

La Tour de Babel est une malédiction dans l’Ancien Testament. C’est une représentation de la diversité culturelle comme un fardeau. Si nous parlions tous la même langue, ce serait tellement plus pratique et tout le monde se comprendrait mieux. Nous vivrions en paix.  Vraiment ? Quelle serait cette “über-langue” qui pourrait calmer par ses vertus intrinsèques les passions humaines et décrire la vie, les pensées, les rêves et les paysages de l’Antarctique à New York, du village mélanésien aux steppes de Mandchourie, et qui aurait des mots pour toutes ces réalités ? L’idée d’une langue unique est un mirage, un fantasme pratico-pratique. 

Le pluralisme linguistique est un fait social. Les langues entretiennent des ”rapports de force” entre elles ou des “rapports de commerce”. Certaines sont parlées par un groupe et aussi utilisées pour se parler entre étrangers, c’est le concept de langue véhiculaire ou de « lingua franca ». D’autres ne sont parlées que par un groupe, ce sont les langues vernaculaires. Langues véhiculaires et langues vernaculaires entretiennent des rapports de voisinage, parfois bons, parfois moins bons, mais le plurilinguisme est à la fois une nécessité et un bienfait. 

Le principal avantage du multilinguisme est bien sûr de multiplier vos possibilités d’interaction. Parler d’autres langues vous donne accès à d’autres manières de voir et de penser, ce qui à votre tour vous fait réfléchir sur vos idées reçues, votre impensé. 

Par exemple, en espagnol, on dit “pareja” pour dire “couple”, mais quand on y réfléchit, l’image n’est pas la même. Dans le mot “pareja”, il y a déjà l’égalité, alors que dans le mot “couple”, on trouve l’étymologie latine “copula” de la “chaîne” ou du “lien”. 

Pour ceux qui naissent de mariages mixtes ou qui sont issus de l’immigration, être bilingue est une question de survie identitaire et de bien-être psychologique. Ne pas perdre ses racines, ne pas perdre plus que ce que l’on a déjà perdu en quittant son pays d’origine, pouvoir conserver ses liens affectifs, avoir accès aux lieux par la littérature, par les chansons et autres oeuvres de l’esprit est salvateur. Nous pouvons convoquer l’absence par les mots, combler le vide par la communauté de ceux qui parlent la même langue que nous. 

Nous n’avons pas vraiment le choix si nous voulons être équilibrés et heureux en notre for intérieur. Oublier notre langue maternelle ou paternelle serait une perte d’âme. Parfois, les conditions de survie imposent le secret ou l’oubli. Alors c’est la douleur et la perte qui se transmettent. Un jour, quelqu’un dans la famille réparera ce qui est advenu et réapprendra la langue. La langue perdue sera de nouveau sauvée. 

A nous, les immigrés, le multilinguisme nous vient presque par prolongement. Une fois que l’on n’est pas dans la survie, qu’on n’a pas besoin de sacrifier sa langue sur l’autel de l’intégration pour réussir son test d’”immigré méritant”, on a envie d’apprendre d’autres langues. On savait déjà que l’on peut voir et dire le monde de plusieurs manières et qu’elles peuvent toutes être vraies de manière concomitante. On est naturellement curieux de la diversité linguistique et culturelle du monde. 

Pour ceux qui sont nés monolingues, l’accès direct à l’autre, qui est différent mais avec qui je partage la condition humaine, crée une fascination. 

Monolingues ou polyglottes, bien sûr, nous sommes tous bien contents qu’existent les traducteurs ! Mais l’accès direct sera toujours plus gratifiant. 

Quels conseils donnerais-tu aux parents dont la langue n’est pas la langue du pays dans lequel ils se trouvent? 

Ne cessez jamais de parler votre langue à vos enfants. Ils vous remercieront un jour. Et quand vous ne serez plus là, ils parleront encore cette langue qu’ils ont reçue en don ! 

 

 

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